Le drame inrp, petit plaisir des rpgistes

Pourquoi aime-t-on le drame dans le RPG ? Peut-être même que la question devrait être pourquoi aime-t-on le drame tout court ? Que ce soit en littérature, au cinéma ou même dans nos séries télévisées préférées, nous en sommes friands de ces moments de tensions émotionnelles !

« Parce que c’est comme une bonne série ou un bon film » de H.

1/ L’écriture pour ressentir

Mais qu’est ce que le drame avant tout ? Sa première définition est celle d’un ensemble de pièces de théâtre et sa seconde est « une suite d'événements qui émeuvent, qui touchent. » Dans les deux cas, il y a des émotions, des personnages et des actions en jeu. Dans le fabuleux monde du RPG, nous écrivons avant tout pour ressentir et faire ressentir des émotions. C’est ce qui pimente les intrigues de nos personnages, nous font découvrir des aspects de leur personnalité jusqu’alors inconnus (qui ne s’est jamais laissé surprendre par une réponse écrite dans le feu de l’action après un flot d’émotions lues ?) et qui rendent leur vie plus ou moins difficile. Car comme dans un bon livre, les émotions de nos personnages impactent leur existence et nos futurs écrits ! Des plus positives au plus négatives, elles sont les catalyseurs de leur progression inrp et ce sont elles qui vont permettre de créer une trame narrative. Sans émotion, pas d’histoire, pas de changement, pas de remise en question, il ne s’agirait que d’une suite d’évènements et de rencontres sans rapport de causalité. Un peu ennuyeux pour des joueurs qui ont le goût de la surprise et n’aiment pas tout prévoir, non ? :)

« [J’aime écrire du drama car] cela me touche en tant qu’humain, j’imagine. » de O.

Aussi, le drame, de par sa définition, va toucher aux émotions les plus complexes telles que la tristesse, la culpabilité, le doute, la peur ou encore le manque (liste non exhaustive) et ce sont ces émotions qui nous tiennent en haleine dans un film ou un livre. On veut savoir si le personnage s’en sortira, s’il retournera voir son-sa bien-aimé-ée, si sa santé ira mieux, etc. Beaucoup de rpgistes - moi y compris - s’intègrent dans leur personnage, que ce soit par des éléments d’histoire ou des traits de personnalité, inconsciemment ou consciemment. C’est une preuve d’un réel investissement émotionnel dans le personnage rpgique et le suivre au grès de ses pérégrinations est un élément fondamental de notre engouement à le jouer. Les petits et gros drames ajoutés au rythme de sa vie vont agir comme des montagnes russes, nous offrant une palette de nouvelles émotions à comprendre, retranscrire et ressentir : le drame est donc un moyen de garder de l’intérêt et de l’attachement. Nous le voyons tous les jours, beaucoup de rpgistes ont du mal à continuer à écrire si leur partner-in-crime de drames (car pour une raison qu’on évoquera plus bas, il arrive souvent que certains drames ne soient joués qu’entre joueurs qui se connaissent bien), abandonnent le forum à leur tour. Sans drama (qu’ils soient légers ou importants, à la base du personnage ou ajouté après), notre personnage nous semble manquer de relief mais aussi de réalisme et les émotions ne sont plus au rendez-vous. Adieu montagnes russes, petit plaisir non coupable du rpgiste !

« J'ai parfois dû faire des pauses dans un rp pour me remettre les idées en place parce que j'étais submergée. » de D.

2/ Une double utilité : la découverte ou la catharsis

Lorsqu’on se met en tête de créer du drama autour de son personnage, deux tendances ressortent parmi les rpgistes. Il y a ceux qui souhaitent découvrir des thématiques diverses et variées et ceux qui vont plutôt utiliser leur propre expérience. Il arrive même que les deux schémas se mêlent !

Tout d’abord, créer un arc dramatique dont le sujet nous est inconnu nous obligera à faire un minimum de recherches pour le rendre plus réaliste (que ça aille du drama light - rupture amoureuse, prise de tête avec un ami - au drama plus compliqué - deuil, agression, maladie ). Nous avons besoin de contexte et d’éléments pour créer et c’est ainsi qu’on peut découvrir des problématiques et des inégalités qui nous étaient inconnues ou méconnues. Pourquoi ? Car le statut social, les origines, l’orientation sexuelle ou le genre nous protègent de certaines discriminations ou dangers (immigration clandestine, homophobie, sexisme ordinaire, etc.). Se pencher sur du drama inconnu, c’est intégrer la société d’une autre façon, la découvrir à travers un prisme différent du nôtre. À titre personnel, bien que j’entendais parler des cartels au Mexique, je n'avais pas du tout conscience de leur façon de procéder et de leurs attaques sur les populations locales. En écrivant dessus, j’ai du m’y intéresser pour rendre le drame principal de mon personnage cohérent.

« Ça permet de changer de perspective, de se mettre à la place des autres aussi. » de B.

En tant que joueur, écrire sur des expériences dramatiques inédites peut aussi nous amener à nous interroger sur les émotions que ces drames entraineront et sur les différentes progressions possibles : comment s’en sort-on lorsqu’on a vécu un deuil ? Quels sentiments ressent-on suite à un divorce ? En tant que réfugié clandestin, comment vivre le mal du pays ? Découvrir ces thèmes grâce au drame inrp permet de se poser des questions et d’écrire sur des émotions différentes de celles que l’on ressent habituellement.

« Je trouve que ça permet de comprendre mieux à la fois les gens qui nous entourent, la société et nous-même » de J.

« J’aime développer au feeling et que ça se fasse naturellement. S’il [le personnage] s’en sort, tant mieux, sinon c’est qu’il n’est pas encore prêt à le faire. » de ITW.

Au final, à travers ces drames inédits, on se cultive émotionnellement, historiquement et sociologiquement.

À contrario, certains joueurs préfèrent écrire sur des sujets dramatiques qu’ils connaissent ou qu’ils ont vécu, s’en servant comme catharsis. C’est une façon d’explorer à nouveau leurs émotions à travers le prisme d’un personnage, leur offrant une certaine sécurité. En l’écrivant de ce point de vue là, la distanciation est plus importante et peut aussi offrir une chance de réfléchir au sujet du drame de façon plus posée (souvent, les joueurs dans ces cas de figure s’appuient sur des co-rpgistes connus, en qui ils ont confiance). Les sujets du harcèlement scolaire sont assez propices à ce type de catharsis tout comme les violences contre les homo-bi-transsexuels, à la fois très contemporains et pourtant encore peu réprimandés. Faire le deuil de drames vécus à travers l’écriture est une forme répandue de catharsis. Si on conseille souvent d’écrire ces maux, ce n’est pas pour rien. Dans le cadre du rpg, ça prend une autre envergure grâce à un personnage qui vivra ce qu’on a vécu et qu’on accompagnera tout du long, du drame à la sécurité.

De même, certains joueurs ont besoin d’écrire sur leur vécu pour déconstruire des stéréotypes de drames inrp. Bien que chaque expérience soit personnelle, en ayant vécu les situations décrites inrp, certaines façons de les écrire peuvent sembler manquer de respect ou de réalisme (non prise en compte du syndrome post-traumatique, conséquences sur les relations avec les autres minimisées ou non évoquées, rapport à soi non biaisé, etc). Écrire sur ces sujets, c’est pour eux une façon de montrer la réalité. Même si chaque contexte rpg apporte son lot de lois, rapports sociologiques différents de notre réalité etc, tant que le personnage joué est humanoïde, les réactions psychologiques resteront sensiblement les mêmes.

« Je n’écris pas de façon ultra ouf ou poétique tout ce que je peux donner c'est de l'authentique et un sentiment de tu n'es pas seul » de AKOM. qui aime rectifier le tir sur des stéréotypes de drames.

Écrire et co-écrire sur une thématique vécue permet alors de se regarder et ce, sans jugement ni danger. C’est un vrai travail personnel qui est alors mis en place et la progression du personnage n’en sera que positive pour son joueur.

3/ Une façon de faire proche de l’écriture scénaristique

Quand on y pense, créer un personnage rpgique, c’est avant tout créer un mini scénario dans un contexte donné. On lui créé un passé, une psychologie, des relations sociales, une situation dans la société et on lui donne un point de départ correspondant à notre début dans le jeu. Plusieurs schémas d’écriture scénaristique existent mais quand on analyse la façon de faire des rpgistes, on peut voir que celui portant autour de la notion de dramaturgie est le plus communément utilisé !

Au cinéma ou en littérature, un seul gros drame est évoqué par personnage. Il peut arriver au début de l’histoire ou juste avant le début. Ça sera son élément déclencheur, ce qui constituera une grande partie de ses soucis et sera à l’origine de ses tentatives de progression (dans Harry Potter de JK Rowling, le drame principal d’Harry est l’abandon et le meurtre de ses parents par Lord Voldemort, qui entraînera toute la suite de ses aventures rocambolesques. Dans le second tome du Monde de Narnia de CSS Lewis, le drame des enfants Pevensie est la Seconde guerre mondiale et leur fuite à la campagne. Dans le livre Divergent de Veronica Roth, l’impression de ne pas être « comme tout le monde » et le sentiment de rejet seront le drame de Triss, celui qui enclenchera ses futures décisions.) Dans le RPG, les 7 personnes interviewées sur leur façon de procéder quant à la construction des drames principaux de leurs personnages ont eu la même réponse que ce qui est décrit au dessus : un drame par personnage, qu’il soit évoqué ou non dans la fiche de présentation et qui le suivra durant toute une période. Ce drame permettra de créer une tension qui montera crescendo au fil des rencontres et des situations rp. Il s’agit ici de nœuds dramatiques, qui font partie du schéma d’intensité. Il peut y en avoir autant que l’ont souhaite, jusqu’à ce que le personnage arrive à ce qu’on nomme climax (là où le drame est à son apogée). Pour reprendre nos exemples, Harry Potter et sa 1ere confrontation à Lord Voldemort ou Triss qui comprend le danger de la divergence dans la société. Pour un personnage de RPG, il s’agira de l’instant où son drame personnel prend tellement d’ampleur qu’il doit décider entre deux chemins : aller mieux ou se laisser couler. La décision est le seul choix possible. S’en suit alors le dénouement du drame, qu’il soit positif ou négatif.

Ernest Hemingway, écrivain et journaliste parlait d’une histoire comme d’une "séquence de mouvements et de faits". D’après lui, une séquence d’événements (noeud dramatique) mis en scène créera un stimulus chez le lecteur et lui fera ressentir l’émotion souhaitée par l’écrivain. Sur un rpg, c’est exactement ce que nous mettons en place : une suite d'événements (dans un même rp ou à travers plusieurs sujets) qui créée de la tension chez le lecteur (le rpgiste, le co-rpgiste ou les fans des personnages en jeu) pour au final arriver à faire ressentir une émotion forte.

Schéma d'intensité dramatique

Souvent, un film ou un livre s’arrête là mais sur un rpg, nous pouvons écrire sur l’après ainsi que sur d’autres futurs drames (comme un second opus, ou un troisième, etc) ! D’après les rpgistes interviewés, le besoin d’une pause post drama est importante. Sans pause, le drame perdrait son aspect créateur d’émotions fortes, deviendrait banal, un drame n’en serait qu’un parmi tant d’autres.

« [Sans pause entre les dramas,] ça serait comme un lundi » de C.

Alors, que ce soit pour faire souffler le personnage (et le joueur) à travers des rp plus funs et moins difficiles, pour permettre au personnage de réfléchir à tout ce qu’il a vécu ou pour donner du réalisme à la situation, la pause post-drame semble indissociable du drama en lui-même ! Et la suite ? Et bien comme toute bonne suite de film ou de livre, on s’attend à un nouveau drama, non ? Parfois en lien avec le premier (conséquence) ou qui est discrètement apparu lors du premier drame (chevauchement), on repart sur un schéma assez similaire mais autour d’autres émotions/thèmes/questionnements, etc.

Pour finir, les schémas d’écriture scénaristiques sont là pour servir l’histoire et le personnage : de manière globale, il s’agit d’aider le héros à dépasser ses peurs/ennemis pour réussir sa quête. Dans le cas du rpg, le drama est lui aussi perçu par les joueurs comme une façon d’améliorer le personnage, de lui permettre de devenir meilleur dans des épreuves et de le faire sortir de sa zone de confort. Tout est fait pour que le personnage ne stagne pas et nous amène dans son périple et nous fasse vivre émotions et aventures !

Pour conclure, une étude menée par Silvia Knobloch-Westerwick (professeure de communication à l’Ohio State University) cherchant à expliquer pourquoi l’être humain aimait les fictions dramatiques, démontrerait que se retrouver face à une situation triste en fiction nous amènerait à penser aux aspects positifs et heureux de notre vie réelle et en particulier à nos relations avec nos proches. Une sorte de « je vais bien comparé à tout ça ». À prendre avec des pincettes car, à titre personnel, mon empathie est telle que j’ai toujours du mal à voir au delà du personnage quand son arc dramatique me touche en plein coeur. #amenezlesmouchoirs #jemenoiedansmesfeels Toutes ces raisons, de la découverte de sujets à la catharsis, en passant par notre besoin constant de ressentir des émotions comme à travers n’importe quel média culturel (livre, série, film, musique même) peuvent expliquer la prédominance du drama inrp sur les rpg francophones. Nous mettons du nôtre dans nos personnages et ce sont grâce à ces drames qu’ils avancent, tombent, se relèvent et grandissent. Si les Happy Endings ne s’appellent pas des Happy Beginings, ça n’est pas pour rien et les histoires n’existeraient pas sans toutes ces embûches et dramas !

Un grand merci à mes 7 interviewvés, A Kind of Magic, June, Belacqua, Osa, Harleen, Draíochta et Into the Wild dont les réponses à mes questions m’ont beaucoup aidé !

jojofeels
Présentation de l'auteur.e :
“ Directeur·trice artistique web indépendant·e, qui ne sait pas plus que vous ce que ça signifie vraiment, rôliste qui passe sa vie sur google à apprendre toutes les langues de ses personnages, "au cas où" et couteau-breton (et non suisse) qui se noie souvent dans toutes ses passions. Amoureux·se de la théorisation autour du rpg, la découverte de XOOGGE grâce à Kim la rédactrice fut comme une révélation : écrire sur les jeux de rôles, avec des passionné·es ? Take my money please ! Si vous ne le·a trouvez pas sur un rpg, essayez Tumblr. Ou Photoshop. Ou discord. Ou After Effect. Ou Google. Ou … Enfin, vous avez compris ;) ”

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