Si l'Humanité est un navire naufragé, Cybel est la côte sur laquelle l'épave s'est échouée. La pluie - acide - en assombrit les murs et les visages, elle mène une course effrénée contre les hologrammes publicitaires, les sirènes, jingles et autres nuisances, soient-elles sonores, visuelles ou olfactives.
La ville a avalé les provinces environnantes puis ses propres banlieues, savante autophage, les uns s'entassant sur les autres, épaules et égos se heurtant, s'étouffant dans les rues bondées: l'Homme a cédé tous ses scrupules pour la folie des grandeurs.
Il s'est fait robot, et, en retour, a façonné la machine à son image. L'intelligence artificielle a également sa part en ce nouveau règne infernal, tandis que la morale ne tient plus qu'aux rares individus craignant que l'Humanité ne voie ses derniers jours. La criminalité prévaut dans les bas-fonds de la cité et l'élite économique et gouvernementale s'emmure dans ses tours d'ivoire toujours plus hautes. La conquête spatiale, avortée prématurément par faute de ressources, a trouvé son terme à la surface de la Lune, où une colonie essentiellement constituée des plus fortunés se propage.
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S’il vous prenait un jour l’idée de vous improviser archéologue et de vouloir comprendre comment en a-t-on pu arriver là, sans doute la tâche vous apparaîtrait très vite épineuse. Demandez à quel Cybelien que ce soit, rares sont ceux qui sauraient ânonner ne seraient-ce que quelques suppositions sur les obscurs contours du conflit terrestre qui a fait se terrer l’Humanité dans cet ultime bastion. Du moins c’est ce que le commun des mortels s’imagine: pas plus d’âmes ne sauraient vous en dire davantage sur les autres confins du monde. Qui sait si les ruines des autres continents sont encore habitées ? Peut-on encore rêver d’un ailleurs qui n’écœurerait pas par ses intarissables vapeurs et feux urbains ? Ce ne sont là guère plus que les superstitieuses flâneries d’un esprit crédule, vous dira-t-on.
Il faudra se contenter de vaguement savoir que Cybel est née des entrailles encore fumantes de l’ancienne Chicago, que les eaux venimeuses du Lac Michigan, maintenant mêlées à celles de l’Atlantique, cerclent peu à peu. Cybel est à première vue un joyau de modernité: tout le génie et tout le désespoir de l'Homme s'y sont incarnés, et Rhea est le ciment qui en a colmaté les débris. Rhea est si omnipotente qu'elle semble être devenue une personne à part entière dans le quotidien de tout un chacun. À dire vrai, tout porte à croire que Rhea, c'est le quotidien.